Depuis plusieurs années, les méthodes agiles se sont imposées comme une alternative aux approches traditionnelles de gestion de projet. Pourtant, elles sont souvent opposées aux méthodes prédictives, créant un débat stérile entre « agilistes » et adeptes du management classique.
La réalité est plus nuancée : l’agilité n’est pas une méthode de gestion de projet en soi, mais plutôt une approche centrée sur l’adaptabilité et la collaboration. Alors, comment intégrer efficacement l’agilité dans une gestion de projet structurée ? Quels sont les pièges à éviter et les meilleures pratiques à adopter ? C’est ce que nous allons explorer.
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Agilité vs Gestion de projet : définitions et différences fondamentales
L’un des problèmes récurrents lorsqu’on parle de gestion de projet agile est la confusion entre ce que recouvre réellement l’agilité et ce qu’implique la gestion de projet. Ces deux notions ont des objectifs distincts et ne répondent pas aux mêmes enjeux.
Qu’est-ce que l’agilité ?
L’agilité prend sa source dans le Manifeste Agile, un texte fondateur qui ne parle d’ailleurs pas de gestion de projet, mais de développement logiciel. L’objectif initial était de proposer de nouvelles pratiques permettant de mieux répondre aux défis du développement informatique, en réaction aux méthodes traditionnelles perçues comme trop rigides et inefficaces dans ce domaine.
Ce manifeste repose sur quatre valeurs fondamentales :
- Privilégier les individus et interactions plutôt que les processus et outils
- Donner plus d’importance à un logiciel fonctionnel qu’à une documentation exhaustive
- Favoriser la collaboration avec le client plutôt que la négociation contractuelle
- Accepter le changement plutôt que de suivre un plan rigide
Et 12 principes qui impliquent une remise en question des pratiques classiques de gestion de projet, notamment la planification détaillée en amont, la documentation extensive et le cloisonnement des rôles. Dans l’approche agile, l’objectif est d’obtenir des résultats concrets rapidement et d’ajuster continuellement le projet en fonction des besoins réels et des retours des parties prenantes.
Un exemple classique de l’intérêt de l’agilité est le problème de compréhension du besoin client. Une célèbre illustration humoristique montre différentes versions d’une balançoire : ce que le client a demandé, ce que le commercial a vendu, ce que les développeurs ont construit, et ce dont le client avait réellement besoin. L’agilité cherche à résoudre ce type de problème en instaurant une communication continue entre les équipes techniques et les parties prenantes tout au long du projet, plutôt qu’en s’appuyant uniquement sur une documentation initiale figée.

Qu’est-ce que la gestion de projet et pourquoi est-elle essentielle ?
Contrairement à l’agilité, qui est avant tout une philosophie de développement, la gestion de projet est une discipline structurée qui vise à organiser et piloter un projet dans son ensemble. Elle ne concerne pas uniquement l’exécution des tâches, mais l’ensemble des actions nécessaires pour garantir la réussite du projet, en prenant en compte le cadrage, la structuration et le suivi jusqu’à son achèvement.
Un projet suit un cycle de vie qui varie en fonction de son contexte, mais l’organisation du travail repose toujours sur des types d’activités (aussi appelés groupes de processus).
Ces types d’activités sont :
- Le démarrage : Définition des objectifs, des parties prenantes et des ressources nécessaires
- La planification : Structuration du projet, identification des tâches, définition du périmètre et des risques
- L’exécution : Réalisation du travail avec un suivi continu
- Le contrôle : Vérification de l’avancement, ajustements et prise de décisions correctives
- La clôture : Validation des livrables, bilan et transfert vers l’exploitation ou la maintenance
La réussite d’un projet repose fortement sur ce qui est mis en place dès le début. Un cadrage précis permet d’anticiper les risques, d’aligner les objectifs des parties prenantes et de définir un cadre clair pour l’équipe. Un projet mal défini dès le départ a de grandes chances d’échouer, même avec une excellente exécution par la suite.
C’est ici que l’on constate une limite des méthodes agiles : elles s’intéressent avant tout au processus d’exécution du projet et laissent souvent de côté les étapes amont et aval du projet. Par exemple, Scrum démarre directement avec une équipe et un backlog sans s’attarder sur le cadrage initial ou la gestion de la clôture du projet. Pourtant, sans une structuration adéquate, l’agilité seule peut conduire à un manque de vision globale et à des difficultés à piloter le projet efficacement.
Les méthodes agiles sont-elles vraiment des méthodes de gestion de projet
Les méthodes agiles sont souvent perçues comme une alternative aux approches classiques de gestion de projet. Pourtant, elles ne couvrent qu’une partie des besoins pour piloter un projet de bout en bout.
Scrum, Kanban, SAFe : outils de développement ou gestion de projet ?
Les frameworks agiles comme Scrum, Kanban ou SAFe sont avant tout des cadres de développement destinés à organiser la production et la collaboration. Scrum, par exemple, repose sur des cycles courts (sprints) et un backlog priorisé, mais il ne définit ni le cadrage initial du projet, ni sa clôture. Kanban optimise le flux de travail sans structurer la gestion globale du projet. SAFe, bien qu’adapté à de grandes organisations, reste centré sur le développement produit.
Ces méthodes aident à organiser le travail des équipes, mais elles ne couvrent pas l’ensemble des besoins en gestion de projet.
Ce que l’agilité ne prend pas en compte
Les méthodes agiles négligent plusieurs aspects clés du management de projet :
- L’avant-projet et la qualification du besoin : Pas de cadrage structuré avant de démarrer.
- La gestion des parties prenantes : L’agilité se concentre sur l’équipe et le Product Owner, sans gérer les interactions externes.
- Le contrôle des risques et du budget : Pas d’outils formels pour suivre ces éléments.
- La clôture du projet : Scrum et Kanban fonctionnent en cycle continu, sans phase de finalisation claire.
Une approche incomplète pour piloter un projet
L’agilité est souvent plus proche de la gestion de produit que de la gestion de projet. Alors que la gestion de projet vise un objectif précis avec une date de fin, la gestion de produit est un processus continu.
Les méthodes agiles ne sont pas des méthodes de gestion de projet complètes. Elles optimisent l’exécution et la collaboration, mais ne suffisent pas pour structurer un projet du début à la fin. Une intégration avec des pratiques de gestion de projet est souvent nécessaire pour garantir le succès.
Rendre sa gestion de projet plus agile : méthodes, bonnes pratiques et pièges à éviter
Intégrer l’agilité dans une gestion de projet structurée permet de bénéficier de ses avantages tout en conservant un cadre solide. Cependant, cela demande une véritable adaptation et une compréhension fine des implications de l’agilité. Certaines erreurs courantes viennent freiner cette intégration et peuvent même rendre un projet moins efficace qu’avec une approche traditionnelle bien maîtrisée.
Intégrer l’agilité dans une gestion de projet structurée
L’un des défis majeurs est d’adapter l’agilité au contexte du projet. Contrairement aux idées reçues, l’agilité ne peut pas s’appliquer uniformément à tous les types de projets.
- Tenir compte du domaine d’application : L’agilité fonctionne particulièrement bien dans le développement logiciel, où les itérations successives permettent d’affiner progressivement le produit. En revanche, dans des secteurs comme l’industrie ou la construction, où chaque modification engendre des coûts importants, une approche plus prédictive est souvent nécessaire.
- Ne pas opposer agile et prédictif : Certaines personnes ont tendance à vouloir opposer ces deux approches. Pourtant, il ne s’agit pas d’un choix binaire mais d’une question d’adaptation. Un projet peut nécessiter une structuration liée a la gestion de projet sur certains aspects (budget, conformité réglementaire) tout en intégrant une approche agile pour le développement.
- Maintenir une vision globale : Un projet ne peut pas avancer sans une direction claire. Si l’agilité encourage une adaptation continue, cela ne signifie pas que tout doit être improvisé. Un cadre stratégique doit être défini en amont pour éviter des errements.
Les conseils pour les équipes projets souhaitant intégrer l’agilité.
Pour que l’agilité fonctionne réellement dans une organisation, il est essentiel de :
- S’assurer que c’est la bonne approche : L’agilité n’est pas une solution miracle applicable à tous les projets. Il est crucial d’analyser le contexte, les contraintes et les objectifs avant de choisir la méthodologie la plus adaptée.
- S’assurer que le management comprend l’agilité : L’agilité ne se résume pas à adopter des rituels comme les daily meetings ou à supprimer la documentation. Une adoption réussie passe par une bonne compréhension des impacts organisationnels, notamment sur la gestion des équipes, la prise de décision et la priorisation des tâches.
Les pièges courants de l’agilité en gestion de projet
Même lorsqu’une organisation décide d’intégrer l’agilité dans ses projets, certaines erreurs récurrentes viennent compromettre son efficacité.
- Le chef de projet trop théorique et rigide
Certains chefs de projet, formés aux méthodes classiques, veulent appliquer à tout prix les outils traditionnels (diagrammes de Gantt détaillés, cycles en V rigides) même lorsqu’ils sont incompatibles avec une approche agile. Ce manque d’adaptabilité peut bloquer l’équipe et nuire à la fluidité du projet. - Le chef de projet micro-manager
Dans une approche agile, les équipes sont censées être autonomes et auto-organisées. Pourtant, certains chefs de projet ont du mal à lâcher prise et veulent tout contrôler, imposant une hiérarchie et une validation excessive. Ce mode de fonctionnement freine l’agilité et réduit la motivation des équipes. - Les agilistes dogmatiques
À l’inverse, certains agilistes refusent toute forme de structuration et rejettent systématiquement les outils de gestion de projet. Pour eux, toute planification ou formalisation est une entrave à l’agilité. Or, un minimum de cadre est indispensable pour assurer la coordination avec les autres parties prenantes et garantir le bon suivi du projet.
Trouver le bon équilibre entre agilité et structuration
Une intégration réussie de l’agilité dans la gestion de projet repose sur un équilibre entre flexibilité et structuration. Il ne s’agit pas de suivre aveuglément un cadre agile ou prédictif, mais de comprendre comment adapter ces approches aux besoins spécifiques du projet et de l’organisation.
- Un chef de projet doit être capable d’adopter une posture d’adaptation, en ajustant les méthodes en fonction du contexte et des contraintes.
- L’agilité ne doit pas être un prétexte pour éviter toute planification ou gestion des risques. À l’inverse, la gestion de projet ne doit pas être une excuse pour freiner l’autonomie des équipes.
- Trouver le bon équilibre permet de maximiser les bénéfices des deux approches et d’améliorer l’efficacité globale du projet.
Que faire quand une équipe agile sent qu’il lui manque quelque chose ?
Même lorsque l’agilité est bien mise en place, certaines équipes ressentent un manque, sans forcément savoir d’où vient le problème. Elles peuvent avoir l’impression que quelque chose ne fonctionne pas totalement, que l’organisation est déséquilibrée ou que des aspects importants du projet leur échappent.
Identifier ce qui manque réellement
Lorsqu’une équipe agile rencontre des difficultés, il est important d’identifier les lacunes spécifiques plutôt que de remettre en cause toute la méthodologie. Les principales problématiques rencontrées sont souvent :
Un manque de communication avec les parties prenantes externes : L’agilité encourage les échanges au sein de l’équipe, mais les interactions avec le management, les clients ou d’autres services peuvent être négligées.
Un manque de visibilité sur le long terme : Les cycles courts permettent d’avancer par petites étapes, mais sans vision stratégique, l’équipe peut perdre en cohérence.
Une mauvaise gestion des priorités : Si le backlog n’est pas structuré avec des objectifs clairs, l’équipe risque de travailler sur des tâches sans réelle valeur ajoutée.
Apporter des solutions adaptées
Si une équipe agile sent qu’il lui manque quelque chose, plusieurs ajustements sont possibles :
- Renforcer la planification stratégique : Même en agile, un minimum de structuration est nécessaire. Définir des jalons, clarifier la roadmap et cadrer les grandes étapes du projet peuvent améliorer la vision d’ensemble.
- Mieux intégrer les parties prenantes : Organiser des points réguliers avec les managers et clients permet de mieux aligner les attentes et d’éviter de travailler en vase clos.
- Trouver le bon équilibre entre agilité et gestion de projet : Certaines équipes bénéficient d’un pilotage plus structuré sur les aspects budgétaires, contractuels ou réglementaires, tout en conservant la flexibilité sur l’exécution.
Hybridation entre agilité et gestion de projet : la meilleure approche ?
Face aux limites de l’agilité seule, de nombreuses organisations adoptent aujourd’hui une approche hybride, combinant structuration et flexibilité.
Pourquoi hybrider les méthodes ?
L’idée n’est pas de choisir entre agile et prédictif, mais de trouver un équilibre adapté au projet et à l’entreprise. Une approche hybride permet de :
- Garder une vision stratégique tout en restant flexible : Les grandes lignes du projet sont cadrées dès le départ, mais l’exécution reste adaptable.
- Répondre aux contraintes spécifiques : Certains secteurs nécessitent un cadre strict (budget, réglementations), mais peuvent intégrer de l’agilité dans certains aspects de l’exécution.
- Optimiser la communication et la coordination : Une gestion hybride permet d’intégrer toutes les parties prenantes sans sacrifier l’autonomie des équipes.
Comment réussir l’hybridation ?
Pour qu’une approche hybride fonctionne, il faut éviter de juxtaposer deux modèles opposés sans lien entre eux. Quelques bonnes pratiques permettent d’assurer cette transition :
- Définir un cadre clair sans rigidité excessive : Une planification initiale reste essentielle, mais doit laisser de la place aux ajustements.
- Clarifier les rôles et responsabilités : Certains rôles classiques du management de projet (gestion des risques, pilotage budgétaire) peuvent coexister avec des pratiques agiles.
- S’adapter au contexte de chaque projet : Tous les projets ne nécessitent pas le même degré d’agilité ou de structuration.
Une fausse réponse à de vrais enjeux ?
Dans certains secteurs, comme l’industrie, l’hybridation est souvent présentée comme une nécessité. Pourtant, la vraie question est : pourquoi vouloir introduire de l’agilité ? Si une approche traditionnelle fonctionne mieux, il n’y a aucune raison de forcer l’agilité.
Renaud Choné, interrogé sur le sujet, exprime un scepticisme face à l’hybridation. Selon lui, elle est souvent le résultat d’un compromis bancal : soit le management cherche à ajouter une touche agile pour suivre la tendance, soit une équipe tente d’adopter l’agilité dans un contexte qui ne s’y prête pas. Il rappelle que les méthodes agiles sont déjà suffisamment flexibles pour s’adapter sans nécessiter d’hybridation forcée.
Plutôt que de chercher à combiner des modèles opposés, mieux vaut choisir la bonne méthode dès le départ et l’appliquer correctement. L’agilité est une réponse à un problème précis, et si ce problème n’existe pas, une approche traditionnelle peut suffire.
Conclusion
L’agilité et la gestion de projet ne sont pas incompatibles. En intégrant les forces des deux approches, il est possible d’optimiser la réussite des projets sans tomber dans l’excès de rigidité ou de chaos. Le véritable enjeu est de s’adapter intelligemment aux besoins et aux contraintes spécifiques de chaque projet.
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